Les sentinelles sont les habitants d’une petite île indienne du golfe du Bengale: l’île de North Sentinel. Il s’agit d’une peuplade tribale n’ayant que très marginalement été contactée, en grande partie en raison de leur extrême agressivité envers les « envahisseurs ».
On ne sait que peu de choses sur les sentinelles, mais comme les maîtres de jeux qui utilisent le monde réel comme univers de jeu se doivent de savoir et d’extrapoler, on va tenter ici de reconstituer leur culture et leur périples historiques.
La préhistoire
Il y a 20 000 ans, le continent (équivalent à l’Inde, au Bangladesh et au Myanmar actuels) est libéré de la glace depuis longtemps et Homo Sapiens occupe déjà le territoire depuis très longtemps. Il y a cependant encore, à une certaine période de l’année, des ponts de glaces qui se forment au nord et qui permettent d’atteindre les nombreuses îles de la mer aujourd’hui appelé le golfe de Bengale.
Un jour une troupe d’aventuriers téméraires, les Tomo-la, partirent explorer ces îles étranges que l’on voit au loin, mais où personne n’a jamais osé s’aventurer. Les Tomo-la n’étaient pas des aventuriers ordinaires, ils faisaient partie d’une ligné vénérable, chacun capable de prendre la forme de son animal fétiche. Parmi eux:
- Maia Dik, l’homme-crevette,
- Maia Totemo, le martin-pêcheur,
- Čana Beyan, la femme paradoxurus
- Maia Mite, l’homme pigeon
- Maia Duku, le Varan
- Biliku, capable de changer de genre
Malheureusement, le pont de glace emprunté ne se reformera jamais et les Tomo-la, prisonniers des îles, en devinrent le peuple fondateur. (Notez que les bateaux ne seront découverts que dix mille ans plus tard.)
Pendant près de 20 000 ans, les descendants des Tomo-la occupent l’archipel des îles Adaman.
Contrairement aux idées reçues, ils ne passent pas cette période en isolement total et en conservant un style de vie « néolithique« . Bien au contraire, ils deviennent un peuple redoutable, mais en symbiose avec son environnement et pas du tout expansionniste. Le développement de techniques maritimes permet des échanges non seulement entre les tribus adamantes elles-mêmes, mais aussi avec les populations voisines, en particulier les nicobaris, les shompens et les malais. Les relations avec ces derniers était toutefois houleuse puisque les malais utilisaient les îles Adaman comme une réserve d’esclaves. C’est sans doute cela qui a commencé à pousser les adamans à devenir aussi méfiant des étrangers.
Antiquité et moyen-âge
Les féroces adamans ne sont pas non plus inconnu de l’extérieur. Ils sont localisés dès les premières cartographies de Ptolémé (2e siècle après JC) qui nomme le lieu « L’île de la chance ». Les Chinois, quant à eux, appelle l’endroit « l’ile des démons nus » et évite le lieu à tout prix. Des explorateurs arabes nomment l’archipel « Najabulus » signifiant « les îles des tout-nus ». Marco-polo s’y intéressera également et croira, a tort, que les îles sont peuplées de sauvages cannibales.
Mais tous ces contacts avec des étrangers demeurent marginaux et n’ont que peu d’impact sur l’évolution de la culture adamante. Les véritables problèmes commencent en 1789.
Les descendants des Tomo-la sont maintenant divisés en deux groupes à la langue et à la culture proche, mais distincte: Les Grands Adamans au nord et au sud les Onges, les Jarawas, les Jangils et les Sentinelles.

L’époque coloniale
En 1789, le lieutenant Archibald Blair se voit confier la tâche d’explorer les îles Adaman-et-Nicobar et de produire un rapport de leur habitabilité. Son rapport étant positif, les constructions ne tardent pas et une première colonie est bâti sur l’île de Chatham, au nord de l’actuel Port Blair. Cette colonie abrite principalement des condamnés à vie et des prisonnier politiques. La malaria et les attaques répétés des Adamans (qui ne veulent pas de ces gens sur leur île) finissent par venir a bout de la colonie qui est abandonnée en 1796.
Pendant cette même période, des navires portugais avec a leur bord des missionnaires, tentent d’évangéliser les populations locales. Ça ne marche pas vraiment comme prévu et ces missionnaires finissent par se tourner vers les Nicobarais, moins farouches. La piraterie est aussi en vogue à l’époque et les pirates semblent être les étrangers qui, dans toute l’histoire de l’archipel, ont eu les relations les plus amicales et courtoises avec les habitants.
En Inde, 1857 annonce le début des guerres d’indépendance, ce qui cause un excès de prisonniers. Ainse, en 1858, une nouvelle colonie pénitentiaire est construite et environ deux cents prisonniers y sont installés. La prison et d’abord construite sur l’ile des vipères, puis déménagées à Port Blair. Le nombre de prisonniers augmente rapidement pour frôler les milles.
Prisonnier #276 et la bataille d’Aberdeen
En 1858, le prisonnier #276 de la colonie pénitentiaire, Dudhnath Tewari, prépare un plan d’évasion. En compagnie de quatre-vings-dix autres détenus, il quitte.
Le plan, néanmoins, ne se déroule pas comme prévu. Ils se perdent dans la jungle et rencontrent un groupe de farouche adamans. Ce fut un massacre. Les Adamans, on aura compris, n’aiment pas trop les étrangers.
Dudhnath Tewari , criblé de flèches, est cependant toujours vivant et il semble que ça impressionne les Adamans, car plutôt que de l’achever ou de le laisser pour mort, ils enduisent son corps d’une préparation médicinale et le traînent jusqu’à leur village. Aussi improbable que cela puisse paraitre, une fois Tewari sur pied, il s’installe au village et prend épouse.
Un an plus tard, Tewari commence à maitriser le langage et il entend une conversation: Toutes les tribus de l’ile se sont alliées et elles comptent bien détruire cette colonie d’étranger pour de bon. Tewari quitte sur-le-champ le village et cours prévenir les autorités.
Quand l’attaque est finalement lancée, les soldats sont ainsi prévenus. Sans l’effet de surprise, les arcs et les flèches ont peu d’impact versus les armes à feu. Les Adamans se font massacrer.
Le régime japonais
Pendant la deuxième guerre mondiale, devant les forces japonaises qui avancent, les Anglais abandonnent les îles. Les Japonais occupent l’île de 1942 à 1945. C’est bref, mais ce fut dévastateur pour les populations locales qui n’étaient considérés par les occupants étrangers comme à peine plus que des animaux. Pendant cette période, de nombreuses routes et installations militaires sont construites.
À la fin de la guerre les Anglais reprennent le contrôle des îles, mais suite à l’indépendance de l’Inde en 1967, elles deviennent sous protectorat indien.
Pendant ce temps, les sentinelles, eux, restent cloîtrés sur leur île. Probablement prévenus par les Jarawas de la cruauté des étrangers, ils ne laissent personne s’approcher de leur île.
Le monde moderne
De l’après-guerre à aujourd’hui, la civilisation moderne a suivi sont cour et au grand dam des Adaman, leur territoire ancestraux furent lentement, mais sûrement, réduit a presque rien. Aujourd’hui les Grands Adamans sont pratiquement assimilés – leur langage traditionnel n’est plus parlé que par une poignée de vieillards… Les Onges sont sur la même voix, les Jarawas aussi.
Seul les sentinelles résistent encore et toujours à l’envahisseur.
Les sentinelles
Jusqu’à maintenant, on a parlé des Adamans d’une manière globale, afin de mettre en contexte. Les sentinelles, contrairement à ce que l’on entend fréquemment, ne sont pas un « mystère ». Leur langue et leur culture sont de la même famille que les Onges et le Jarawas et on a ainsi une vision assez claire de leur façon de vivre et des raisons derrières leur comportement agressif.
Notez que « Sentinelle » est le nom donné à cette population par les occidentaux. La manière dont ils se nomment eux-mêmes est inconnu.
Premier contact – M.V. Portman
En 1880, le surintendant de la colonie pénitentiaire était l’officier Maurice Vidal Portman. Ce dernier était également ethnologue et photographe amateur et grâce a ces passions, il lui fut aussi confié la tâche de photographier les locaux pour le compte du gouvernement indien et du British Museum. Malheureusement, cette passion ethno-photographique en cachait une autre; celle des organes génitaux de jeunes garçons…
L’intendant Portman, tout en se claquant les bretelles de travailler pour le compte du prestigieux British Museum, se constituait surtout pour lui-même une riche documentation photographique de pénis.
Il fut cependant le premier à montrer un intérêt pour l’île de North Sentinelle dont les habitants, à l’époque, n’étaient qu’une présomption. Il s’y rendit, mais ne rencontra qu’un vieux couple et deux enfants qui, probablement, n’ont pas eu le temps de se cacher. L’intendant Portman ordonna leur capture et ils furent ramenés à Port Blair illico.
Le vieux couple tomba malade rapidement et il fut décidé de retourner les enfants sur l’île. Cela eut, bien sûr, un impact majeur sur l’île; probablement leur première épidémie de « maladie de blanc ». L’agressivité envers les « lau » (étrangers) atteint son paroxysme et ne réduira pas avec le temps.

Les tentatives de pacification
Dans les années 1970, il y eut des tentatives de contact aux résultats plutôt étranges. Lors de la première, à l’initiative du gouvernement indien, les sentinelles se contentent de gestes obscènes: ils se masturbent et font semblant de chier. Des femmes sortent alors de la forêt et une orgie massive débute sur la plage. L’antropologue Triloknath Pandit, en charge de l’expédition décide avec sagesse d’éviter d’aller plus loin…
Les expéditions suivantes (aussi par Pandit, mais aussi le National Geographic) furent, cette fois, seulement reçu par de violentes pluies de flèches.
La plus grande réussite de Mr Pandit eut lieu en 1991 alors que les sentinelles furent un peu plus réceptif et acceptèrent les cadeaux sans essayer de tuer tout le monde. Cette rencontre assez unique est documenté en vidéo (ci-bas).
Ce fut la dernière rencontre « officielle ». Par la suite, le gouvernement indien cessa toute tentatives de communications et fit passer une loi interdisant de s’approcher a plus de cinq km de l’île. Bien que l’île soit « officiellement » en territoire indien, le pays en a abdiqué la possession et reconnait maintenant les sentinelles comme un peuple souverain ayant le droit de protéger ses frontières.

Le Primrose
En 1981, le navire « Le Primrose » se prend dans les récifs et s’immobilise a proximité de l’île. Le temps est à la tempête (d’où le naufrage) et les secours ne peuvent venir immédiatement. Sur la plage, les sentinelles préparent des bateaux… Heureusement pour les passagers du Primrose, les conditions climatiques sont aussi problématiques pour les sentinelles, qui ne rigolent pas… Ils sont plus tard rescapés par hélicoptère. La carcasse du navire est toujours présente au nord de l’île.

La croyance populaire veut que les sentinelles soient une tribu « de l’âge de pierre ». Il n’en est rien. S’ils ne sont pas à « l’âge de fer » c’est simplement qu’il n’y a pas de minerai de fer sur l’île (ou alors très peu). Une carcasse d’un bateau de 16,000 tonnes vient sérieusement régler le problème. L’armement des sentinelles n’en deviendra que plus mortel.
Notez que ci-haut j’ai mis entre guillemet « âge de pierre » et "âge de fe
r ». La raison – je crois qu’il est important de bien le comprendre – est que ces âges ont eu lieu il y a des milliers d’années. Aujourd’hui, nous sommes en 2021 et c’est 2021 pour tout le monde, peu importe comment « primitif » vous pensez qu’ils sont. Tous les êtres vivants de la terre sont exactement au même stade d’évolution.
La mort des braconniers
Le premier évènement que l’on peut considérer comme un meurtre commis pas les sentinelles eut lieu en 2006 quand deux braconniers, après avoir bu plus que de raisons, s’endormirent sur leur bateau et dérivèrent jusqu’à l’ile.
Le réveil fut brutal. Il furent massacrés..
John Allen Chau
Probablement le cas qui a le plus fait parler de lui à travers le monde est celui de John Allen Chau. Ce pauvre gars (pour ne pas dire cet imbécile) en est venu à la conclusion dans sa petite tète que ce dont les Sentinelles avaient besoin, c’est de Jésus-Christ. Faisant fi du bon sens, de la loi et même des avis de ses co-religionaires, John, bien déterminé et Bible en main, s’est rendu sur l’île de Sentinelles pour y mourir criblé de flèches.
Aujourd’hui, les sentinelles ne comprennent peut-être pas les concepts de germes et d’anticorps, mais ils savent que les étrangers emmènent avec eux la mort. Quiconque met les pieds sur l’île doit être éliminé sans faute!

Jouer des colons ou des explorateurs
L’île de North Sentinel – ou l’archipel des îles Adaman-et-Nicobar dans son ensemble si on est à une époque plus reculée, pourrait se retrouver sur la route d’aventuriers téméraires. Par exemple, a l’instar du Primrose, des PJs pourraient se retrouver coincés dans les récifs tandis que, sur l’île, les locaux préparent leurs bateaux… Des PJs pourraient aussi être des détenus à la colonie pénitentiaire de Port Blair tentant une évasion.
Jouer des Adamans
En rédigeant ce texte, j’avais surtout en tête de faire jouer des personnages qui sont, eux-mêmes, des Adamans.
Les chasseurs
La majorité des Adaman mâles sont des chasseurs. Ils utilisent l’arc et/ou la lance. Il sont aussi doués pour suivre les pistes et survivre dans la jungle.
Les pècheurs / navigateurs
Bien qu’occupant aussi la fonction de chasseur, certain Adamans sont aussi spécialisé dans la fabrication de bateaux et la navigation.
A l’époque où ils avaient encore de la communication avec les autres peuples des autres îles, ils étaient ceux capable de faire la « grande traversée ». Une quarantaine de kilomètres séparent l’île de North Sentinel des autres îles de l’archipel. Les navigateurs savent où sont situés les divers récifs et micro-îles pouvant servir de relais pendant la traversée.
Cependant, depuis l’époque coloniale, les communications inter-tribus ont relativement cessés.
Les cueilleuses
La société adamante est patriarcale et le genre est la principale distinction sociale. Le rôle des femmes est la cueillette, la cuisine et s’occuper des enfants. Cela dit, bien que les femmes aient un rôle différent, il n’y a pas nécessairement de relation dominante et les femmes ont leurs mots à dire dans les décisions de groupe au même titre que n’importe qui.
Les oko-paiads
L’aspect spirituel de la vie est géré par les oko-paiads. Ils sont à la fois les prêtres, les conteurs et les médecins. Ils connaissent les herbes médicinales et, bien sûr, la magie. Les femmes peuvent aussi être oko-paiad, mais c’est plus rare.

La magie
On a vu au début de ce texte que les ancêtres, les tomo-la, étaient capables de transformation animale. Depuis, ce ne sont pas tous les Adamans qui ont ce pouvoir, mais il arrive que l’on découvre cette capacité chez les enfants. Ceux qui l’ont deviennent automatiquement des oko-paiads (mais on peux être oko-paiad sans l’avoir).
La magie Adamante fonctionne par dessins. Des motifs dessinés sur un objet ou une personne donnent à cet objet ou cette personne des pouvoirs particuliers. Par exemple, on dessinera un motif de vitesse sur un bateau pour en rendre plus rapide ou un motif de solidité pour le rendre plus solide. Un seul motif pouvant être dessiné, un objet n’aura qu’un seul pouvoir qui sera décidé en fonction de l’usage prévu pour l’objet. Sur une personne, les motifs peuvent, par exemple, donner de la force ou guérir. Sans ce pouvoir magique de guérison, les Sentinelles auraient, depuis longtemps, été décimés par les maladies ramenées par les étrangers.
Bibliographie
- Radcliffe Brown A.R., 1922, Myths and Legends of the Andamans
- Hotel Blue Mmarlin, article de blog, 2020, History Of Andaman
- Phillip Endicott, M. Thomas P. Gilbert, Chris Stringer, Carles Lalueza-Fox, Eske Willerslev, Anders J. Hansen, Alan Cooper, 2002, The Genetic Origins of the Andaman Islanders
- Scott Hamilton, 2018, Three myths about North Sentinel Island
- Andaman Ocean Tours and Travels, 2015, History of Andaman (Kala Paani)
- Ajay Saini, The Hindi, 2017, A battle and a betrayal
- George Weber, 2009, Lonely Island – The Negrito People and the Out-of-Africa Story of the human race: The Andamanese
- Maurice Vidal Portman, 1899, A History Of Our Relations With The Andamanese Vol.1
- Maurice Vidal Portman, 1899, A History Of Our Relations With The Andamanese Vol.2
- Marnie O’Neill, The Bulletin, 2018, Tribe island’s haunting shipwreck
Videos
- FRANCE 24, 2016, Dans l’océan Indien, l’éthnocide de la tribu Jarawa, décimée par le tourisme
- Tales of Interest, 2016, Wreck of the Primrose | Hostile Natives of North Sentinel Island
- NDTV, 2018, Anthropologist Triloknath Pandit On Recovering American’s Body From Sentinelese
- Prem Vaydia (via Negroscopy), 1974, Man in search of Man – Andaman Peoples
Notes
Bien que cet article fut écrit avec les jeux de rôles en tête, les Sentinelles – et les Adamans en général – sont de véritables peuples qui méritent tout notre respect. Le but de cet article n’est ni la moquerie ni l’appropriation culturelle.
N’utilisez pas cet article comme une source sûre d’information. Si vous désirez vous renseigner sur ces peuples, suivez plutôt les liens cités ci-haut dans la bibliographie.
Aujourd’hui, seul les Sentinelles s’en sortent assez bien. Les autres tribus sont en déclin, envahies et écrasés par le monde moderne où ils peinent à trouver leur place. Si vous êtes sensible a leur cause et aimeriez aider, vous pouvez contacter l’organisme Survival International.